Le Chœur de Paris au théâtre du Châtelet

Une année nous sépare de cette photo prise devant le théâtre du Châtelet .

Nous avions été choisis pour y chanter la Passion selon Saint Jean de Bach, avec les Talens Lyriques, un bouquet d'artistes de renommée internationale et une mise en scène signée Calixto Bieito.

Le Covid a fermé les portes des salles, le concert a été capté devant un parterre de journalistes et diffusé sur Opéra Vision de juin à fin décembre.

Voici dans les lignes qui suivent, nos impressions au fil des jours et des répétitions:

                                 

Après plusieurs mois de répétition musicale, nous voici sur le plateau du théâtre du Châtelet pour la mise en scène de la Passion selon Saint-Jean de Bach. Le lieu est impressionnant, les dimensions de la scène sont imposantes. Le rouge des velours des fauteuils se conjugue avec les ors des colonnes, le lustre surplombant la salle, les fresques et cartouches…

          

 

Sur la scène, le décor est indiqué au sol par des bandes adhésives. Ce sera une conque, un arc de cercle avec marches. Au centre de la scène, l’orchestre et le chef. Pour les deux premières semaines, c’est l’orgue qui assurera l’accompagnement.

Chanter avec masque, c’est devenu notre quotidien, mais se bouger, se disperser, ne pas voir le chef, repérer ses voisins, passer d’une position à l’autre… Déclinaisons de nos nouvelles formes de travail artistique désormais! Garder le tempo tout en se déplaçant, retrouver sa place, ses voisins, une autre voix différente de son pupitre.

Nous avions déjà travaillé en pupitres mélangés, en quatuors vocaux, en ligne de pupitre devant/derrière, et maintenant c’est en permanence que le bain choral nous entoure. Le metteur en scène et son assistance donnent les indications générales, c’est à nous de les vivre individuellement et de les transmettre collectivement. Rester naturel, concentré, suivre le chef, garder un regard, ouvrir les oreilles à une phrase musicale qui est en contrepoint de la nôtre…

Les premières répétitions se déroulent avec sérieux et détente. L’équipe technique du théâtre est attentive et rassurante. Notre chef de chœur nous a préparé au mieux de toutes ces situations, nous sommes confiants mais toujours vigilants.

La troisième semaine de répétitions va accélérer le mouvement ! Désormais, après une dizaine de répétitions uniquement les soirées, nous allons avoir les après-midis et les soirées, l'orchestre s'ajoute également ! Mise en scène et musique vont se mêler encore plus, l'équilibre sonore est à peaufiner. Les mouvements de foule doivent conjuguer implication corporelle, justesse et finesse du contrepoint.

C'est en permanence de nouveaux défis personnels et collectifs. Connaître par cœur sa partition ne suffit pas, il faut également repérer les départs des autres voix, les répliques de l'orchestre dans un tissu musical dense richement ornementé par le Cantor de Leipzig. La suavité des cordes baroques des Talens Lyriques, la souplesse de phrasé des bois, le tactus régulier de la basse du continuo sont autant d'éléments à découvrir, assimiler, retenir.

La mise en scène évolue et s'enrichit des propositions spontanées de chacun avec un souci d'être soi, et de s'inscrire dans un mouvement général. Allers-retours réguliers entre la mise en scène, le chef d'orchestre et l'ensemble de tous les interprètes (Solistes, chœur, orchestre). Des points de vue contrastés, des contraintes spécifiques vont devoir s'assembler pour donner une unité générale tant musicale que théâtrale.

Au sein de ce bain musical intense, des oasis de sérénité apparaissent : Philippe Pierlot, chef et violiste renommé nous régalant tous d'un touché sensible sur la viole de gambe pour accompagner le contre-ténor solo ; une répétition à « l'italienne » c'est-à-dire purement musicale qui offre à chaque choriste la confiance dans sa partie, « oui je connais la partition et me régale en voix mélangées »… il n'y a donc que la mise en espace à surmonter !

                      

 

Cet Everest musical s'est adouci et l'ascension de ces pentes abruptes qui semblait difficile a progressivement laissé place à la douceur de collines connues et réconfortantes. Réjouissance des cœurs et des âmes, la confiance témoignée et impulsée par Till Aly, notre chef de chœur nous a tous gagné. Philippe Pierlot, son calme et son sourire derrière le masque y a contribué également.

Quant à Lucia Astigarraga, qui a repris la mise en scène initiale de Calixto Bieito, elle a su trouver les mots et les encouragements pour que cette Passion soit à la hauteur du message qu'elle délivre.

Dans ce kaléidoscope, quelques images peuvent accrocher notre regard…

Les pauses-sandwich avec vue imprenable sur la tour Saint-Jacques et Notre-Dame, l'essayage des costumes, le visage de la soprano maculé de sang, les mains dans la terre pour être répandue sur le sol, une guinde qui lie et relie, une foule en meute qui ondule, le gel régulièrement dispensé pour raison sanitaire… Et pour finir, un véritable rapace sur la main de l'Évangéliste, figurant ainsi l'aigle de Saint-Jean.

 

Arnaud Keller